AHMED EL ABDIOUI
    Ahmed fils de Abdellah fils de Lahsen
    du douar Bouazzoune Taounat
    dans la région de Fez
    fellah
    fils de fellah
    dans la montagne aride
    s'engagea
    le 17 décembre 1950
    s'engagea
    n'a pas le choix
    quand l'officier passea
    au marché du village
    "celui qui s'intéresse à l'armée
    qu'il se présente !"
    64 ème Régiment d'Artillerie
    de Fez
    il a dix neuf ans
    il apprend
    quelques mois
    on le forme
    le 31 juillet 1951
    départ pour l'Indochine
    Oran
    la mer
    Haiphong
    dix sept jours
    de mer
    et quinze jours
    à Hanoï
    puis les combats
    combats terribles
    on part à cinquante
    on revient à huit
    et le vacarme des canons
    de 105
    taper taper
    pour ne pas être surpris
    ainsi
    pendant des mois
    et des mois
    deux ans et six mois
    précisément
    et puis c'est la relève
    Haiphong
    Oran
    le retour à Fez
    un peu plus d'un an
    à Fez et à travers le Maroc
    et après c'est à nouveau
    la mer
    Oran
    Haiphong
    à nouveau l'Indochine
    chaleur
    faim
    soif
    tout est difficile
    et quand l'hélicoptère
    ne parvient pas à ravitailler
    le groupe isolé
    en pleine forêt
    c'est entre soi qu'on finit
    par se battre
    pour manger
    pour survivre
    mais au bout de trois mois
    Ahmed fils de Abdellah fils de Lahsen
    doit être évacué
    entérocolite
    dysenterie amibienne
    évacué et rapatrié
    la mer
    Oran
    Oujda
    Taza
    et cette fois quitte l'armée
    rentre au village
    si pauvre
    dans la montagne
    et quand on le convoque
    pour qu'il se réengage
    parte en Allemagne
    cette fois dit : non
    terminé
    Ahmed fils de Abdellah fils de Lahsen
    décide de rester chez lui
    à vivre comme il peut
    petits boulots dans les souks
    "payé selon la nature et l'activité"
    travail de peu
    pas déclaré"
    ainsi
    des années et des années
    et les fils non plus
    ne trouvent pas de véritable
    travail
    au jour le jour
    ce qu'ils peuvent
    comme ils peuvent
    vendeurs de riens
    sur les marchés
    ainsi
    jusqu'en 2003
    quand
    Ahmed fils de Abdellah fils de Lahsen
    apprend
    "que les anciens combattants
    devaient venir en France
    pour recevoir
    leur pension"
    et part
    à plus de soixante-dix ans
    quitte famille et village
    quitte la misère
    sinon il ne serait pas venu
    la valise
    le sac
    comme quand il était soldat
    et la santé pas très bonne
    Bordeaux
    Beauvais
    ce n'est pas une pension
    c'est juste le RMI
    mais c'est mieux que rien
    pas vraiment une reconnaissance
    il le comprend bien
    mais qu'espérer
    de mieux
    pour aller jusqu'au bout de cette
    "vie foutue" ?
    ce sera comme ça
    aller
    venir
    rentrer
    repartir
    les sept mètres carrés de la chambre
    du foyer
    la tristesse dans le regard
    jusqu'à la fin de ses jours
    puisqu'il n'y a pas d'autre
    choix possible
    pour nourrir la famille
    responsabilité de père
    bien plus loin
    qu'il n'aurait cru
    alors
    qu'au moins tout ceci
    soit écrit
    pour qu'ils se souviennent
    Madani
    Abdellah
    Rachid
    Rafia
    Saida
    Saadia
    fils
    et filles de
    Ahmed fils de Abdellah fils de Lahsen
    qu'ils se souviennent
    et racontent à leurs enfants
    ce que fut
    la dure vie d'homme
    de leur père.
Olivier Pasquiers, photographe, membre de l'association "le bar Floréal. photographie"
